Les 10 questions à se poser pour choisir un outil de gestion de données programmes durable

01 July 2022

Ce post de blog fait suite au wébinaire "Les idées reçues des OSC sur l’open : parlons open source et open data !" organisé le 17 mai 2022 par CartONG en collaboration avec Ritimo dans le cadre de 5 sessions de sensibilisation prévues de la mi-mai à la mi-juin 2022 pour décrypter les enjeux de la gestion des données programmes au sein du secteur de la solidarité internationale. L'enregistrement de ce webinaire est disponible sur la chaîne YouTube de CartONG.

Depuis plusieurs années maintenant, les acteurs de la solidarité internationale repensent la manière dont ils conduisent leurs activités au prisme du numérique (collecte de données sur mobile, compilation de données pour le reporting siège ou bailleur, utilisation de technologies d’analyse avancées pour l’aide à la décision, etc.).

Rappelons qu’en 2020, 60% des OSC enquêtées dans le cadre de l’étude CartONG sur les données programmes1 partagent avoir « déjà eu à faire face au moins une fois à une situation où [elles] n’avaient pas réussi à trouver d’outil adapté à leur problématique de gestion de données », ce sujet ayant d’ailleurs été remonté à cette occasion comme la priorité technique n°1 des OSC (voir illustration ci-contre issue de l’étude). Nous constatons d’ailleurs que la sélection de solutions est trop souvent guidée par l’intuition ou des considérations secondaires (ou par le dernier commercial ayant toqué à la porte) plutôt qu’à la suite d’une réflexion construite.

Bien que la question de la transformation numérique ne se résume pas au choix de solutions technologiques (comme nous l’avons vu au cours du webinaire), nous avons décidé de poser sur papier une liste des 10 questions essentielles à se poser pour choisir un logiciel véritablement durable pour la gestion de ses données programmes.

N’hésitez pas à également à vous inspirer des principes pour le développement numérique, qui sont là pour aider les praticiens à choisir et mettre en œuvre les technologies numériques pour les programmes de solidarité internationale de manière plus éclairée.

1Étude CartONG : Les données programmes : le nouvel eldorado de la solidarité internationale ? – Panorama des pratiques et besoins des OSC francophones, septembre 2020.

1- Avez-vous réellement besoin d’un outil ?

Un outil n’est pas la réponse universelle à tout problème de votre organisation. Evaluez si les manques que vous avez ont réellement besoin d’être comblés par un nouveau dispositif technologique (voir cette ressource éclairante si nécessaire) et également si la mise en place d’un outil est une solution réaliste au vu des compétences de votre organisation, du turnover, des ressources disponibles et des priorités opérationnelles des utilisateurs.

Gardez en tête que les ONG ne sont pas des spécialistes de l’informatique et donc que votre capacité à développer en interne, à rédiger un cahier des charges adapté ou à réaliser la conduite du changement nécessaire à son déploiement sera probablement limitée - par conséquent ne soyez pas trop ambitieux.

2- Quel est le besoin ?

Afin de choisir un dispositif qui facilitera vos activités de collecte ou de gestion de données pour le suivi-évaluation, par exemple, il est primordial de réfléchir à vos besoins à court, moyen et long termes. Ces besoins sont-ils les mêmes pour tous les utilisateurs ? Avez-vous besoin d’une plateforme dédiée à tous les types de métiers, ou est-il plus intéressant de restreindre son utilisation à certains profils ? Avez-vous besoin d’un grand nombre de fonctionnalités, ou uniquement de quelques fonctionnalités très spécifiques ? La protection des données est-elle adaptée à l’utilisation que vous en ferez ? Quelles fonctionnalités de la plateforme sont essentielles, lesquelles au contraire ne le sont pas (les « nice to have »).  N’hésitez pas à vous appuyer sur la méthode Agile pour déterminer les besoins de vos utilisateurs en les posant sur papier à travers des « récits utilisateur », cela vous aidera ensuite à sélectionner le dispositif le plus adapté et à prioriser.

Ayez à l’esprit que le mieux est l’ennemi du bien : vous n’aurez jamais un outil ergonomique, qui répondra à l’ensemble des besoins métier de votre organisation, multi-langue, et gratuit, qui satisfera à la fois les profils avec une utilisation ponctuelle et limitée et ceux avec une utilisation quotidienne plus avancée. Il vaut mieux définir très clairement vos priorités (et donc écarter des choses qui « auraient pu être intéressantes » mais ne sont pas nécessaires), et cibler votre choix en fonction.

3- Quels sont les niveaux de compétences des utilisateurs ?

Une fois que vous aurez identifié les besoins de votre organisation et donc les fonctionnalités dont vous avez besoin, évaluez le niveau de compétences actuel de vos équipes (maîtrise du numérique en général, maîtrise des outils tels qu’Excel, ODK, XLSForm, etc.). Est-ce plus important pour vous au final d’avoir quelques personnes maîtrisant bien une technologie spécialisée ou plutôt de donner un vernis sur un outil plus accessible à un plus large panel de vos staffs ? Ces personnes auraient-elles besoin d’une formation initiale, puis de formation ultérieure afin de garantir une bonne utilisation dans le temps au gré des évolutions de process métier ou technologiques, ou juste de prendre en main rapidement un nouveau dispositif avec un peu d’auto-apprentissage ? Le temps et les ressources financières nécessaires à cet accompagnement envisagé sont-ils réalistes ? Prenez également en compte le turnover et assurez-vous notamment que le choix de la plateforme est réfléchi en fonction d’une stratégie organisationnelle et non juste des compétences ou de l’appétence actuelle d’une seule personne au sein de l’organisation.

4- Existe-t-il des comparaisons logicielles sur le sujet ?

Au vu des besoins de votre organisation et du niveau de compétences des personnes qui utiliseront l’outil, demandez-vous si des dispositifs similaires ont déjà été utilisés et comparés par d’autres organisations du secteur. Existe-t-il des « lessons learned » (enseignements tirés) quant à l’utilisation d’une de ces solutions dans le cadre de programmes de solidarité internationale sur lesquels vous pourriez vous appuyer ? Existe-t-il des études comparatives permettant de comparer différentes solutions numériques vous évitant de réinventer la roue ?

N’hésitez pas à filtrer sur l'IM Resource Portal sur les types de ressources de type « benchmarking » ou « case study » pour voir les études pertinentes du secteur en lien avec votre sujet d’intérêt.

Dans les dernières ressources CartONG en la matière, vous trouverez entre autres sur le portail de ressources IM une comparaison des outils de collecte de données sur mobile, des solutions de cartographie interactive en ligne pour débutants, ou des outils de collecte des données à distance pour des enquêtes téléphoniques.

5- Quel est le niveau d’interopérabilité de l’outil ?

Une utilisation « stand-alone » de l’outil est-elle suffisante ou les données issues de la plateforme ont-elles besoin d’être connectées à d’autres outils (pour du partage, de l’agrégation de données, etc.) ? Si tel est le cas, le dispositif permet-il techniquement de simplement s’y connecter, ou de collaborer avec des partenaires utilisant d’autres logiciels ? L’outil respecte-t-il les standards utilisés dans le secteur (comme le XLSForms pour les outils de collecte de données sur mobile ou le HXL pour le partage de données) ? Est-il facile de transférer des données ou d’agréger les données provenant de différentes sources ? Est-il possible de récupérer les données si le dispositif ne fonctionne plus ?

Ces questions vous aideront à inscrire le choix de l’outil dans une approche systémique.

6- L’outil est-il évolutif ?

Gardez en tête que les besoins que vous avez identifiés initialement sont susceptibles d’évoluer dans le temps – y compris lorsque ces besoins sont très précisément définis en amont. Demandez-vous alors si les technologies que vous avez identifiées sont adaptables. Sont-elles adaptées à la quantité et au type de données que vous souhaitez traiter, par exemple si une mise à l’échelle est envisagée ? Pourrez-vous répliquer l’outil dans un autre contexte sans surcoût démesuré ? Connaissez-vous bien l’équipe derrière l’outil, et ses caractéristiques (connaissance du besoin, taille, etc.) paraissent-t-elles adaptées ? Le modèle économique de la solution est-il viable ? Le fournisseur partage-t-il de manière transparente la feuille de route de la technologie ? Existe-t-il une communauté représentative d’utilisateurs ou de contributeurs aidant à réfléchir à cette dernière (tels qu’existant pour les vraies approches open source) ?

Favorisez autant que possible (sauf si c’est un choix conscient pour explorer de nouveaux outils à fort potentiel) des technologies qui seront réutilisables au sein de l’organisation pour des programmes du même pays et/ou couvrant la même thématique, pour permettre des apprentissages organisationnels et également une mutualisation des efforts dans le déploiement de l’outil.

7- Quel est le niveau de compatibilité avec l’écosystème local ?

Si l’idée est que l’outil soit utilisé par différentes parties prenantes locales (partenaires, bénéficiaires, acteurs institutionnels, etc.), est-il déjà connu/reconnu par ces dernières ? Est-il compatible avec la culture digitale/de la donnée existante sur place ? Trouverez-vous le support technique local dont vous pourriez avoir besoin ? L’outil est-il compatible avec une redevabilité souhaitée vis-à-vis des populations (par exemple, en permettant des extractions d’analyses simples) ? Respecte-t-il la législation locale (par exemple, localisation des serveurs de stockage de données, logiciels américains interdits en Syrie, etc.) ?

8- Quel est le niveau d’investissement financier requis ?

En fonction des logiciels que vous avez identifiés, et de leurs caractéristiques, évaluez l’investissement financier qui sera nécessaire pour mettre en place et maintenir la solution. Quels sont les coûts de développement, les coûts de licence, les coûts liés à la réflexion et l’adaptation à vos processus métier, les coûts liés à la formation/l’accompagnement ? De combien de temps (en termes de calendrier de déploiement et de disponibilité des équipes concernées) dispose l’organisation pour déployer l’outil, accompagner ce déploiement et maintenir la solution ? Les ordinateurs des employés seront-ils suffisamment puissants pour faire tourner cet outil, ou y aura-t-il besoin d’investir dans du matériel informatique (« hardware ») ? De manière générale, les investissements humains, techniques et financiers qui sous-tendent le déploiement réussi de l’outil sont-ils viables pour votre organisation ?

9- Quel sera le niveau de changement de pratiques nécessaire ?

Le déploiement d’un nouvel outil nécessite, certes, le renforcement des compétences des équipes, mais le changement de pratiques peut aller au-delà. En effet, la mise en place d’un nouvel outil amène à changer l’organisation du travail. Au sein de votre organisation, l’implémentation de cette nouvelle solution modifiera-t-elle les rôles et responsabilités de chacun ? La manière de faire son travail ou le temps passé à réaliser une certaine activité ? Le niveau d’horizontalité – ou au contraire de verticalité – de votre organisation ? Y a-t-il des réfractaires ou l’utilité de l’outil est-elle évidente pour tous ? Avez-vous bien pris en compte en choisissant de déployer l’outil, le mal-être que ce déploiement pourrait entraîner pour vos équipes (ou une partie de votre équipe), ou même pour les populations que vous cherchez à soutenir ?

10- L’outil respecte-t-il les valeurs de votre organisation ?

Le fait d’utiliser un outil plutôt qu’un autre n’est pas neutre. Demandez-vous si la solution que vous avez identifiée est en ligne avec les valeurs que porte votre organisation. Le projet de société qu’il encourage correspond-il au vôtre (démarche émancipatrice, écosystèmes de contributeurs, …) ? Est-ce un outil open source ? Est-il inclusif en termes d’ergonomie ? La gestion responsable des données est-elle une priorité (protection « by design and default », données protégées de la surveillance d’état type « Cloud Act » aux États-Unis, le code source est-il auditable ?) ? Le modèle de gouvernance et le modèle économique du fournisseur sont-ils compatibles avec les valeurs de votre organisation ?

Pour résumer, gardez en tête que le choix et le déploiement d’un nouvel outil de gestion de données programmes nécessite une réflexion en amont. Cherchez à préparer le terrain pour éviter les choix qui se font dans l’urgence.

Pour aller plus loin :

Pour structurer votre démarche de choix d’outil, quel qu’il soit, n’hésitez pas à utiliser l’outil Alidade, (développé par The Engine Room, Network Society Lab, Pawa Initiative et Making All Voices Count) et/ou le Digital Tech 4 Resilience tool de FHI360.


La présente publication bénéficie du soutien de l’Agence Française de Développement (AFD) et du Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Néanmoins, les idées et les opinions présentées dans cette publication ne représentent pas nécessairement celles de l’AFD et du CDCS.